Quelques réflexions sur la floraison de thérapies proposées pour l'autisme

Confronté à de fréquentes discussions sur de nouvelles approches ou techniques pour le traitement de l'autisme, en particulier au travers des groupes de discussions sur Internet, j'ai été souvent conduit à soutenir la position difficile à défendre de recommander la prudence. Il est en effet très dur d'apparaître comme "l'opposant" en face de parents ou de professionnels enthousiastes. Mais ayant eu à faire face à tant de situations ou les parents se sont retrouvés moralement et psychologiquement démolis par de faux espoirs, comment pourrait une personne exerçant des responsabilités dans le milieu associatif ne pas être extrêmement prudente, si non complètement septique sur la dernière " thérapie miracle " quelle qu'en soit l'auteur ou l'origine.

En partie, mes sentiments viennent d'une tendance naturelle à la prudence, mais d'autre part ils viennent aussi d'avoir vu passer un tel nombre de ces "Nouvelles thérapies" au cours de plus de vingt années durant lesquelles nous avons étés confrontés à l'autisme avec notre fils. Je ne vais pas ici citer le nom d'une quelconque de ces "thérapie", "Méthode" or "Technique" car cela entraînerait instantanément un déluge de réponses par courrier électronique ou autre, arguant "que telle ou telle approche [parmi celles que j'aurais cité] est réellement différente". Je ne dis pas non plus que toutes ces nouvelles thérapies doivent être rejetées ou qu'il n'y a rien de bon en elles, je dis seulement qu'il faut se montrer extrêmement prudent avant d'en faire l'apologie.

Certains " praticiens " de ces nouvelles thérapies sont sincèrement convaincus de leur valeur, tout au moins au début, mais pour certains autres elles ne sont qu'une source de revenus ou le deviennent quand les résultats ne sont pas à la hauteur des promesses et qu'ils ont toutefois besoin de continuer à gagner leur vie... Il vont toujours trouver certains cas anecdotiques qui renforceront leurs disciples dans leurs croyances, mais pour les parents et les professionnels qui se sont fait piéger, ainsi que pour les personnes autistes qui ont, au mieux, perdu un temps précieux et peut-être ont enduré des traitements pénibles et inutiles sous le prétexte d'une "thérapie, méthode ou technique", ceci est complètement inacceptable.

C'est pourquoi, en tant que membre d'une association de soutient des personnes autiste je suis extrêmement prudent avec les recommandations à faire aux parents et aux professionnels. Plus on voit de publicité autour d'une nouvelle "thérapie" plus il faut être précautionneux... Ceci nous met évidemment dans une position difficile car c'est précisément de ce type de thérapies dont les familles et les professionnels entendent le plus parler, alors que nous avons tendance à regarder vers "des résultats en profondeur et à long terme ", ayant étés testés dans un maximum d'environnements différents, sur d'aussi longues périodes que possible, évaluées par des personnes différentes : personnes handicapées, parents et professionnels. Autant que possible ces évaluations doivent avoir été faites par des personnes n'ayant aucun lien avec les créateurs de la nouvelle méthode ou thérapie. De plus, il faut essayer d'évaluer les améliorations réelles de l'autonomie des personnes autistes et non seulement les comportements observés ou un bonheur supposé, voire interprété.

"Malheureusement, ce genre de recherche (bien qu'elle soit faite par certains professionnels parmi les plus sérieux) ne semble pas aussi excitant que certaines thérapies plus à la mode.", faisait remarquer un parent dans une discussion sur Internet... Ceci, dramatiquement, est tellement vrai... Répéter jour après jour des expériences conduites de manière scientifique, avec des variations infimes des conditions à chaque nouvelle étape, n'est pas très amusant et les résultats sont souvent lents à se matérialiser. Tout jeune chercheur voudrait "résoudre le mystère de l'autisme"... Poussés par leur enthousiasme, certains tendent à se laisser emporter et de passer un peu trop vite à une conclusion favorable à leur hypothèse avant qu'elle ne soit vraiment validée... Tant que cela reste dans le domaine de la recherche, les dommages sont rarement graves, en général leurs publications scientifiques sont revues, sincèrement mais sans concession, et de telles conclusions hardies ne résistent pas longtemps à la dure réalité des faits.

Certaines autre méthodes, moins sérieuses, obtiennent une publicité hâtive, en particulier et de manière bien compréhensible parmi les parents. Il devient alors difficile de les contredire sans passer pour un conservateur, voire un rétrograde. Pour la défense de certaines de ces observations, la communauté scientifique tends à regarder parfois de manière quelque peu distante ces approches "à la mode", refusant même souvent de seulement les considérer... Pour la défense de la communauté scientifique, il y a des centaines de nouvelle théories telles que celles ci apparaissant chaque année et les scientifiques n'ont pas assez de moyens à dégager pour pouvoir examiner toutes les théories qui émergent constamment.

Certains "créateurs" de nouvelles approches de l'autisme acceptent assez bien que leurs théories soient testées, même si elles n'ont pas été développées dans un labo de recherche. Toutefois, d'autres n'acceptent pas que leurs approches soient évaluées, on tombe alors dans le domaine de la croyance... On est "pour eux" ou "contre eux"... Toute question, même raisonnable, est considérée comme un blasphème... Avec le "phénomène Internet" ce type d'approches tend à se répandre encore plus rapidement. Certains des parents qui ont essayé sont convaincus de l'efficacité de cette approche et une anecdote relatant "un succès" devient presque instantanément une nouvelle thérapie pour l'autisme.

Dans le cas de l'autisme, il y a de nombreuses raisons à ces réactions des parents :

  • Malgré toutes les recherches qui ont été faites, l'autisme reste relativement mal connu, non pas qu'il ait été négligé, mais qu'il implique des anomalies fonctionnelles extrêmement complexes du système nerveux central, aussi n'y a-t-il que très peu "réponses scientifiques" satisfaisantes. Confronté à certains aspects complexes de l'autisme, un honnête chercheur ou clinicien peut ne pouvoir dire que "Je ne sais pas". Bien sur, ceci n'est pas une très bonne réponse, surtout pour les parents.
  • Dans de nombreux cas, l'autisme entraîne de sévères déficiences très incapacitantes, extrêmement pesantes pour les familles, les parents sont épuisés, dans certains cas sévères la vie de toute la famille est mise en danger. Les parents cherchent donc des solutions désespérément.

Suite à ces constatations, un grand nombre d'approches mythiques ont fleuri et ont attiré des familles pleines d'espoir, qui deviendront malheureusement le plus souvent des familles dévastées, après que leurs espoirs aient une fois de plus ruinés. Nous ne blâmerons certainement pas ces familles d'avoir essayé différentes approches, c'est plutôt ceux qui les proposent et qui sont responsables de ces désastres que nous pensons devoir être bien plus prudents sur la façon dont ils les annoncent publiquement.

Pourquoi réagir à ces approches?

Ce qui ne va pas dans toutes ces approches de l'autisme, tient plus souvent aux promesses qui ne se réalisent pas qu'à un manque d'honnêteté de leurs créateurs. Il se peut qu'il aient eu quelques réussites excitantes, réelles ou seulement apparentes. Ceci n'est pas une raison pour en déduire que cela va marcher avec toutes les personnes autistes. L'enthousiasme c'est bien, mais quand il peut laisser croire aux gens, et en particulier aux parents, qu'ils vont voir "le bout du tunnel", qu'ils ont finalement une solution à tous leurs problèmes, à ce moment, l'enthousiasme devient dangereux, voire criminel.

Ce qui est mauvais, c'est de croire qu'il existe "la solution" au problème de l'autisme. L'illusion qu'un jour il y aura une "Baguette magique" qui fera disparaître l'autisme, est une des croyances tenaces parmi les parents aussi bien que parmi certains professionnels.

Si l'on ne peut blâmer les parents pour leur quête d'espoir, bien que je sois d'accord avec la position exprimée dans un texte superbe "Ne nous pleurez pas" par Jim Sinclair, une personne autiste que faute de mieux nous appelons "de haut niveau", je pense en revanche que les professionnels qui suscitent sans précautions de l'espoir alors qu'il n'en sont encore qu'au stade expérimental, jouent avec les vies des personnes autistes et celles de leurs parents.

Trop de publicité, trop tôt

C'est souvent plus la publicité entourant une approche insuffisamment testée qu'il faut craindre que l'approche elle même. Cette publicité va donner des espoirs, va créer "des groupes de pression" soutenant avec force et passion une technique ou une thérapie restant à valider, elle va inciter les gens à prendre parti, à se faire les avocats ou les adversaires de quelque chose qui ne peut être qu'émotionnel compte tenu du peu d'information disponible. Il y a un risque majeur de voir des "requins" s'approprier l'approche pour eux même et abuser de la détresse des parents. Il se peut que dans certains cas l'approche en question ne soit même pas maîtrisée par les nouveaux praticiens principalement attirés par ce qu'ils pensent être une source juteuse de revenus qu'ils ont découvert justement grâce à la publicité.

Risque de jeter le bébé avec l'eau du bain

Il existe un autre risque associé à une trop grande publicité autour de ce genre de "solutions": quand elles ne remplissent pas leurs promesses, le public va tendre à les rejeter en bloc, ne percevant pas qu'il peut y avoir au moins certaines parties des idées qui pourraient être utiles.

Je voudrais souligner que, si aucune de ces solutions miracle ne me séduisent en tant que telles, je pense qu'en combinaison avec d'autres approches et en particulier avec une éducation structurée individualisée, plusieurs de ces approches pourraient être très utiles, au moins partiellement. Certaines associations d'approches étant utiles avec certain individus, et d'autres fonctionnant mieux avec d'autres individus.

En créant de telles oppositions entre "croyants" et "sceptiques" nous perdons énormément d'informations. Nous cessons d'écouter les arguments de l'autre bord.

Un des problèmes avec toutes ces thérapies c'est qu'il y a tellement de facteurs qui entrent en compte dans une évolution positive vers une meilleure autonomie. Celle-ci peut être attribuée à de nombreux éléments. Par exemple, mon fils était très clairement autiste quand il était jeune. Il est maintenant très indépendant, a des amis, aime jouer de la musique dans un groupe de Rock, est allé à l'université… Comme nous avons énormément déménagé, de Nice en France, à Woodstock aux USA, à Paris en France, puis à White-Plains, à côté de New York City, retour à Nice, départ pour Londres en Angleterre et finalement retour à Nice, et que notre fils a fait énormément de progrès, nous pourrions construire une théorie disant qu'il est recommandé de faire beaucoup déménager les enfants autistes afin de les rendre plus aisément adaptables... Nous pourrions probablement gagner un maximum d'argent avec cette théorie…

Le rôle de l'information

Ce qui est surprenant, dans cet environnement, c'est que certains professionnels se laissent piéger par autant de résultats non prouvés. Certaines approches sont du pur charlatanisme d'autres s'adressent à une sous-population spécifique et dans des condition précises. "Je suis souvent abasourdi par l'ignorance de certains qui se disent professionnels." Se lamentait un parent. En effet, malheureusement pas seulement "ceux qui se disent professionnels "... Certains ont tous les diplômes... Ils ont juste acquit leurs connaissances il y a très longtemps et ne se sont pas vraiment tenus au courant des nouvelles connaissances, ou encore, comme les psychanalystes en France, ont fait un choix idéologique et ne veulent pas remettre en question leurs idées malgré les résultats des recherches récentes...

C'est dur de s'y retrouver dans cet embrouillamini...

C'est pourquoi nous devons réunir nos forces en militant dans les associations de parents de personnes autistes. Au travers de ces groupes, nous devons encourager une meilleure information du public, des familles, des professionnels et des pouvoirs publics. Nous devons aussi agir pour une meilleure formation des professionnels afin d'obtenir de meilleurs services pour nos enfants, nos adolescents et nos adultes autistes. La plupart du temps, les professionnels qui maltraitent les personnes autistes le font à cause de leur ignorance de ce qu'est réellement l'autisme et parce qu'ils sont incapables de maîtriser la situation.

Paul Tréhin
Secrétaire Général de L'Organisation Mondiale de l'Autisme